Deuxième partie (suite) :
Les problèmes structurels et les stratégies de développement (2)
Le début de cette deuxième partie du dossier consacré à l’agriculture arménienne, a été publié dans le précédent numéro de « France-Arménie ». Ont été développés des thèmes tels que la vétusté du système d’irrigation et des matériels agricoles, le problème du morcellement des terres, celui de la mauvaise gestion des pâturages et de l’organisation des coopératives agricoles.
Aujourd’hui, la suite de cette partie présente d’autres difficultés structurelles qui freinent le décollage de ce secteur ; en particulier la faible productivité des ressources humaines, le manque de financement, le sous-développement des infrastructures, la mise à niveau du système de sécurité alimentaire et l’existence des monopoles.
1) La faible productivité de la main d’œuvre agricole et l’utilisation non rationnelle des terres.
Comme indiqué précédemment la main d’œuvre agricole représente environ 40% de la population active et 75% de l’emploi rurale ; par contre la production agricole équivaut à peu près au quart du PIB. De nombreuses raisons expliquent cette inefficacité relative des ressources humaines ; les principales sont :
– l’importance du chômage partiel : souvent le travail est saisonnier et tous les membres de la famille apportent leur contribution ; les agriculteurs n’ont pas d’autres activités durant la saison morte.
-l’accès limité aux emplois alternatifs ; dans les communautés rurales les activités tertiaires telles que le commerce, les services à la personne et autres services sont très faibles.
-le faible niveau de formation professionnelle des paysans
-la faible mécanisation et l’accès limité aux nouvelles technologies
-le sous-développement des infrastructures routières et d’autres installations
-la petite taille des parcelles et les faibles superficies irriguées.
2) Les ressources financières limitées et le difficile accès au crédit
Le financement du secteur agricole pose de nombreux de problèmes, le principal étant le niveau élevé des taux d’intérêt. Les banques ne sont pas prêtes à assumer les risques élevés de ce secteur : 6 banques uniquement sur 21 travaillent avec les agriculteurs.
Ainsi, ces prêts ne représentent que 6% de l’ensemble des crédits. Ce sont surtout les prêts aux industries agroalimentaires qui progressent rapidement ; ces entreprises plutôt modernes et bien gérées sont plus attractives pour les banques.
Enfin, selon une nouvelle décision du gouvernement, les taux d’intérêt des prêts à l’agriculture ne devraient pas dépasser 14% dont 4% subventionnés par l’Etat. Un fonds a été créé à cet effet.
3) L’amélioration des infrastructures agricoles.
A part celles évoquées précédemment (système d’irrigation, infrastructures des pâturages…) d’autres doivent être améliorées et développées. Ainsi beaucoup de routes rurales doivent être rendues praticables pour rendre accessible les régions reculées, améliorer le transport des marchandises et leur commercialisation. De même l’installation de stations anti-grêles, de serres et d’abattoirs doit être encouragée, ainsi que le renforcement de la sécurité sanitaire, le développement du processus de commercialisation et l’amélioration du fonctionnement des marchés.
– Les stations anti-grêles. Certaines communes agricoles en ont déjà installé et il est demandé au gouvernement d’encourager leur développement ; en Arménie les grêles de printemps causent beaucoup de dégâts : il y a quelques semaines, une partie importante de la récolte d’abricot a été perdue.
– De même la construction de serres est indispensable pour le développement de l’agriculture. Récemment, l’Etat a décidé d’offrir des exonérations fiscales aux agriculteurs individuels et aux sociétés qui investissent dans ce domaine. Des investisseurs ont déjà commencé à injecter des fonds dans cette activité qui est rentable, ouvre des possibilités de travail sur toute l’année et dispose d’un potentiel élevé pour l’exportation.
Le développement des serres de petites et moyennes dimensions a été plus rapide ces dernières années et leur superficie a été multipliée plusieurs fois dans certaines provinces. Cependant plusieurs auraient des difficultés financières en raison de la hausse des prix du gaz et auraient arrêté leurs activités.
– L’Arménie manque aussi d’abattoirs. Actuellement il en existe 24 dont 6 inutilisables. Le gouvernement a programmé la construction de quatre nouveaux dans les provinces de Kotayk, Aragatsotn et Vayots Dzor et peut être une cinquième à Lori. Ils seront conçus selon les normes de sécurités les plus récentes.
Trois d’entre eux répondront aux exigences des viandes ‘hallal’ et permettront accroître les exportations vers les pays musulmans.
Ces projets font partie d’un programme mis en place avec l’assistance de la FAO et le gouvernement grec.
– Le système de sécurité sanitaire est un autre élément des infrastructures agricoles qu’il faut renforcer. Ceci suppose la mise à niveau des capacités des laboratoires, l’adoption de nouvelles normes et procédures, l’harmonisation de la législation nationale avec celles en vigueur à l’internationale, la mise en place de mécanismes de traçabilité.
Des progrès ont été accomplis récemment dans ce domaine ; ainsi l’Arménie figure désormais sur la liste des pays autorisés à exporter du miel vers les pays de l’Union Européenne. Ce processus doit être renforcé absolument pour encourager les exportations de produits agricoles.
Ainsi, en 2015, l’Union Européenne accordera une aide de 2 millions d’Euros destinée à la modernisation (achat de matériel et formation de personnel) des laboratoires de l’Agence de la sécurité alimentaire.
– Le processus de commercialisation et le fonctionnement des marchés. Il ne suffit pas de produire, il faut aussi vendre et réaliser des bénéfices.
L’amélioration des mécanismes d’accès à l’information et au marché ainsi qu’un marketing agressif sont des éléments indispensables au développement du secteur agricole.
Par ailleurs, l’imbrication est très forte entre les sphères politiques dirigeantes et les grandes entreprises d’importation/distribution de denrées alimentaires et d’importations d’intrants agricoles.*
Cette situation encourage les superprofits et la hausse des prix, et renforce les inégalités sociales ; elle n’aide certainement pas au développement du secteur agricole.
Une restructuration et une approche innovante sont donc nécessaires pour aider au développement de ce secteur clé pour l’économie arménienne. L’encart ci-contre en donne quelques pistes.
Le ministère de l’Agriculture est aujourd’hui en face de nombreux défis. Les résultats de son action permettront de juger s’il les a relevés.
Quelques éléments d’une stratégie de développement agricole durable pour l’Arménie
– Gestion efficace des terres : utilisation accrue et ciblée des terres agricoles, accroissement des rendements, accès accru et plus facile aux intrants essentiels ; utilisation ciblée des pâturages
– Promotion de la coopération agricole : amélioration de la législation des coopératives, soutien de l’Etat
-Augmentation de la capacité des organismes qui produisent des semences de bonne qualité
– Amélioration génétique du bétail ainsi que du système d’insémination artificielle
– Amélioration du système d’enregistrement des animaux et de leur traçabilité
– Développement de l’agriculture biologique
– Mise à niveau du parc de machines agricoles et amélioration des mécanismes de crédit-bail
– Amélioration du système d’information et des conseils donnés aux agriculteurs ; renforcement des capacités des services consultatifs existants
* Ces marchés sont très concentrés et constituent souvent des monopoles. Par exemple « Alex Greg Company» détient 99,9% des importations de sucre et 47,3% des importations de blé ; « Manana Grain Company » importe 34,4% du blé.
Par ailleurs, 2 sociétés monopolisent 80% du marché des importations d’aliments pour poissons.
La première appartient au frère du président de l’Assemblée nationale Hovik Abrahamyan, alors que l’un des fondateurs de la 2ème société est Tariel Barseghyan ancien Président de la Cour Suprême d’Arménie, membre du Conseil de la Justice et directeur du département de droit civil à l’Université d’Etat d’Erevan. Mais c’est son fils Tigran, vice-président du Comité National des Impôts, qui est chargé de la gestion de la ferme et de l’importation de denrées alimentaires