Malgré la décision de l’Arménie en 2013 d’intégrer l’Union Economique Eurasiatique (UEE) plutôt que l’Union Européenne (UE), Bruxelles et Erevan ont manifesté la volonté de donner une deuxième chance au développement de leurs relations.
Ainsi le 12 octobre 2015 le Conseil des Affaires Etrangères de l’UE a donné mandat à la Commission Européenne d’entamer des négociations en vu d’arriver à un nouvel accord avec l’Arménie. Celles-ci ont commencé le 7 décembre dernier.
Quelles sont les motivations de l’UE et celles de l’Arménie ? Quelle est la position de la Russie ?
Comment l’Arménie pourra-t-elle concilier son adhésion à l’UE et à l’UEE ?
I- Le rapprochement de l’Arménie à l’UE
Quelle est la motivation de l’Arménie en s’engageant dans ces négociations ? Un besoin réel de relations privilégiées avec l’UE ou simplement un besoin d’aides financières que la Russie, vue sa situation actuelle, n’est pas capable de fournir ?
Dans tous les cas, les flux financiers et les ressources économiques du pays seront diversifiés, favorisant le développement d’une société nouvelle et plus moderne.
Les conséquences attendues d’un tel rapprochement sont nombreuses : larges possibilités de coopération, mise en place d’institutions démocratiques, accroissement de sa capacité concurrentielle sur les marchés étrangers, création de conditions favorables pour les investisseurs européens, délocalisation de certaines firmes européennes qui pourraient trouver en Arménie de meilleurs conditions de production (facilités administratives, coûts plus bas de la main-d’œuvre) ; elles pourraient aussi exporter plus facilement d’Arménie vers les pays de l’UEE.
L’Arménie présentera aussi des propositions concrètes de coopération notamment dans les domaines des transports et des communications, de l’innovation, des PME et de l’agriculture.
Evidemment, ce rapprochement avec l’UE ne devrait pas être au détriment de la Russie. L’idéal serait que les accords de l’Arménie avec l’UE et l’UEE n’interférent pas mais se complètent mutuellement. L’Arménie deviendrait ainsi une plate-forme où ces deux ensembles économiques seraient en situation de saine compétition.
En 2013, le volte face d’Erevan en faveur de l’EEU a été déclenché de toute évidence par des considérations politiques et de sécurité, plutôt que la rationalité économique ; depuis cette date le conflit de la Russie avec l’UE sur l’Ukraine a considérablement réduit les marges de manœuvre.
Les Arméniens ont été irrités aussi par la position quelque équivoque de la Russie concernant les attaques azéries contre le Haut-Karabagh, alors qu’elle devenait le principal fournisseur d’armes à l’Azerbaïdjan tout en renforcent sa base militaire en Arménie.
La nouvelle offre d’un engagement européen proposé à l’Arménie lui apportera sans nulle doute une bouffée d’air frais.
II- Les nouvelles propositions de l’UE
L’accord reprendra de nombreuses dispositions du texte qui a failli être signé il y a deux ans.
Les différences concerneront surtout les domaines du commerce et des investissements qui auraient pu donné aux produits arméniens un accès permanent aux marchés de l’UE en échange de sa conformité avec les réglementations commerciales de l’UE.
Ce ne sera pas le cas et l’on s’achemine vers un accord de moins grande envergure adapté aux choix de l’Arménie.
Plus généralement l’UE adopte aujourd’hui une attitude plus pragmatique que par le passé dans sa nouvelle version du partenariat oriental. Elle est sur le point de finaliser une révision de cette politique où apparaissent clairement deux caractéristiques majeures :
– la différenciation, c’est à dire des programmes de coopération mieux adaptés aux besoins et aux choix de chaque pays,
– la nécessité d’une plus grande implication des partenaires dans la conception des projets de manière à ce qu’ils se sentent plus solidaires dans ce processus.
La nouvelle politique européenne de voisinage, qui sera rendu public incessamment, inclura aussi un volet sécuritaire dont l’Arménie ne pourra pas bénéficier puisqu’elle est déjà membre de l’OTSC* et fait partie d’une union politique et militaire avec la Russie. Cette mise au point a été faite par M. Piotr Switalski, le nouveau chef de la délégation européenne chargé des négociations avec l’Arménie.
En bref, les deux parties veulent mettre en place des relations mutuellement bénéfiques avec, à la clé, la modernisation de l’Arménie, de son économie et de sa société. Ici il faut rappeler aussi que l’UE est le principal investisseur et bailleur de fonds et aussi le plus grand marché pour les exportations arméniennes.
Enfin, l’UE est déterminée à passer à l’étape de la libéralisation des visas, ce qui n’est pas un processus simple et implique de nouvelles obligations pour l’Arménie (état de droit, droits de l’homme, lutte contre la corruption, non-discrimination…). Si l’Arménie est prête l’UE ouvrira ce nouveau chapitre en 2016.
III- Les négociations et la position de la Russie
Un haut diplomate russe a déclaré récemment que la Russie n’a pas d’objection à la mise en place d’un nouveau cadre juridique pour resserrer les liens de l’Arménie avec l’UE mais que Erevan est “bien conscient qu’il ne doit pas aller à l’encontre de son adhésion à l’UEE ».
Malgré cela à l’annonce de l’ouverture des négociations, quelques « messages » ont été envoyé par la Russie tels que la visite du ministre Lavrov en Arménie « liée à la menace terroriste au Proche Orient » ou la création d’un système de défense aérienne commune Russie-Arménie.
Cependant il est difficile de savoir dans quelle mesure ils sont liés aux négociations et dans quelle mesure ces négociations inquiètent Moscou.
Mais pour les négociateurs européens une nouvelle « intervention » russe pour empêcher la signature d’un accord paraît peut probable. « Nous savons que l’Arménie est en consultation avec ses partenaires de l’UEE et nous ne sommes plus dans un schéma de négociation « soit l’un, soit l’autre » d’il y a deux ans.
Apparemment, Bruxelles aurait finalement accepté la proposition d’Erevan d’abandonner ce schéma pour adopter l’approche « et l’un, et l’autre ». Les autorités européennes auraient compris le manque d’alternative pour l’Arménie.
Enfin, il y a aujourd’hui de nouveaux facteurs qui peuvent avoir une influence essentielle et conduire à un accord, au moins théoriquement.
Qu’il suffise de citer l’isolement actuelle de la Russie et celle aussi de l’Arménie ; celle-ci a besoin des relations économiques avec l’UE pour « survivre » et continuer à recevoir de l’aide à travers des tuyaux étatiques ou non pour maintenir sa stabilité sociale.
En cas d’accord, plusieurs programmes de collaboration pourraient être lancés rapidement. On peut citer :
1) le programme visant à améliorer la compétitivité des PME
2) le programme « Horizon 2020 dont l’Arménie aurait l’intention de rejoindre**
3) la subvention de 24 millions € que l’UE accordera en 2016***.
4) l’allocation de 30 millions d’euros pour réformer les finances, rationaliser le marché du travail et renforcer le contrôle des finances.
Il nous reste à croiser les doigts.
Gérard Achdjian
APRICOT Group
Mise en relations d’affaires avec l’Arménie
www.apricotgroup.eu
Pour des informations détaillées sur l’économie de l’Arménie, veuillez consulter le site
www.gab-ibn.com
* L’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) est une organisation à vocation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, et le Tadjikistan.
** C’est le plus important programme de recherche et d’innovation de l’UE avec un financement de près de 80 milliards d’euros sur 7 ans (2014 à 2020), en plus des investissements privés.
***Elle devra être consacrée à la mise en œuvre de trois programmes, dont un sur la préparation d’un nouvel accord UE-Arménie.