Cette décision aura pour effet d’accroître l’emprise de la Russie sur l’Arménie, au grand dam des Européens qui ont dû renoncer à l’Accord d’Association avec Erévan, en dépit de longues négociations sur le point d’aboutir.
Depuis trois ans environ, l’Arménie était en négociations avancées avec l’Union européenne (UE) en vue d’un Accord d’Association, et les progrès importants qui avaient été accomplis jusque-là laissaient entrevoir la signature d’un accord le 29 novembre prochain à Vilnius. Au printemps 2013, le président arménien avait même boudé la réunion des pays de la CEI (Communauté des Etats indépendants) et celle des pays de l’UD. Parallèlement, les déclarations du Premier ministre ainsi que de certains responsables de l’Etat et du Parti républicain (le parti du président) avaient été dans le sens d’une association avec l’UE.
Mais certains signes indiquaient aussi qu’un rapprochement pouvait être envisagé avec l’UD. Ainsi, en 2011, l’Arménie avait participé à la réunion de la CEI à St-Pétersbourg consacrée au libre-échange dans cette zone, que le Parlement arménien avait ratifié en septembre 2012. Le 8 août 2012, un groupe de travail avait été créé pour assurer les chances d’accession de l’Arménie à l’UD. Quelques mois plus tard, le 21 décembre, le président Sarksian avait évoqué ce projet durant une interview accordée à la chaîne de télévision Russian Rossiya 24, et le 10 avril 2013, un mémorandum avait été signé lors de la visite en Arménie du président de la Commission économique eurasienne, Viktor Khristenko.
Ces faits montrent bien que la décision de rejoindre l’UD n’était pas un secret pour l’UE. Les responsables européens avaient même prévenu l’Arménie à plusieurs reprises que l’intégration à l’UD dirigée par la Russie n’était pas compatible avec l’Accord d’Association. Dans tous les cas, cette déclaration du 3 septembre a soulevé des questions relatives à d’éventuelles pressions exercées par Moscou pour arracher cette adhésion ; pour beaucoup, les questions sécuritaires et le problème du Karabagh ont aussi pesé lourd dans cette décision.
Les conséquences de l’adhésion à l’UD
Il est incontestable que la Russie a déjà une forte présence en Arménie : entre 1988 et 2011, 34% des 16,5 milliards de dollars (USD) d’investissements avaient pour origine la Russie, alors que la part de l’UE était de 20% et celle des Etats-Unis de 3%. En 2012, sur 1,7 milliard USD de transferts venant de l’étranger, 1,47 milliard provenaient de Russie. Et la Russie n’aura pas à faire d’efforts importants pour accroître sa présence en Arménie, car elle détient déjà les secteurs vitaux du pays : téléphonie, chemins de fer, centrales nucléaire et électriques, gaz, réseau de distribution de l’électricité, banques, etc. Moscou est en quelque sorte le « point de repère » des élites politiques et économiques arméniennes.
Au chapitre des conséquences positives de cette association, on peut citer de « nombreuses promesses » :
– l’aide de 470 millions USD pour développer et moderniser les chemins de fer arméniens. La Banque de développement eurasiatique a déjà promis une enveloppe de 100 millions USD, qui entraînerait une augmentation de 0,4% de la croissance ;
– la poursuite du fonctionnement de la centrale nucléaire actuelle et la construction d’une nouvelle centrale pour la remplacer ;
– la réduction de 30% du prix du gaz, ce qui augmentera de 1% le taux de croissance du PIB, et une baisse des prix des produits pétroliers ;
– la reprise des activités de Naïrite et la construction d’un oléoduc ;
– la modernisation des entreprises russes établies en Arménie, qui reposera dorénavant sur une motivation politique.
Cependant, il y a fort à craindre que les éventuels profits iront enrichir les oligarques et alimenter le système de corruption, face à une population qui n’en tirera que peu d’avantages.
En même temps, l’UD facilitera l’émigration vers la Russie et, par voie de conséquence, augmentera les transferts d’argent vers l’Arménie. On sait en outre que 2,5 millions d’Arméniens vivent en Russie, mais représentent-ils un enjeu politique pour ce pays ?
Il faut intégrer également le paramètre « politique régionale » : si cette décision était attendue, en raison des relations privilégiées entre la Russie et l’Arménie et de la question du Karabagh, Erévan avait commencé à douter des garanties offertes par Moscou, après la récente visite de Vladimir Poutine à Bakou et l’annonce des ventes d’armes russes d’un milliard de dollars à l’Azerbaïdjan.
Mais si la Russie est importante pour l’Arménie, l’inverse aussi est vrai : l’Arménie est un territoire permettant d’assurer la présence russe dans la région, par le déploiement de plusieurs milliers de soldats stationnés à la frontière arméno-turque et l’existence de la base militaire de Gumri. D’où, pour beaucoup, le sentiment que cette décision a été prise sous la pression de la Russie et la menace de l’Azerbaïdjan qui continue à s’armer.
En contrepartie, l’adhésion à l’UD va accroître la dépendance de l’Arménie vis-à-vis de la Russie. Moscou décidera de sa politique extérieure et un Conseil supranational dictera sa politique douanière (unification des tarifs). Mais selon une étude récente sur la société arménienne, à la question de savoir avec quel pays l’Arménie devrait coopérer, la Russie est toujours placée en première position, avec 40 à 55%, suivie par l’UE, l’Iran puis les Etats-Unis. Le dilemme pouvait donc se résumer à « souveraineté ou sécurité ».
Si l’Accord d’Association avec l’UE avait été signé…
D’abord pris de cours par la décision de Serge Sarksian, les dirigeants européens ont finalement annulé la signature de l’Accord d’Association avec l’Arménie, prévue initialement le 29 novembre prochain à Vilnius. Si celui-ci avait été paraphé, outre son rapprochement vers les standards européens en matière de démocratie, pluralisme et défense des droits de l’homme, l’Arménie aurait profité du libre-échange qui permet d’augmenter le volume des échanges, de stimuler les investissements et la création d’emplois, ainsi que de promouvoir les exportations et la concurrence sur le marché intérieur. Mais elle aurait également bénéficié de sommes importantes allouées par l’UE, entre 2014 et 2021, pour la modernisation du pays et de ses infrastructures.
En revanche, selon une étude européenne, l’Accord d’Association aurait entraîné des pertes élevées dans le secteur agricole, avec une baisse de 30% de la production et le doublement des importations de l’Arménie en produits alimentaires. Et pour conséquence une augmentation de l’émigration. Cette adhésion aurait aussi comporté d’autres risques réels : problèmes avec la Turquie, dépendance excessive des exportations de matières premières, restrictions imposées par la Russie, etc.
En somme, si des zones d’ombre subsistent dans l’intégration à l’Union douanière, l’association avec l’UE en contient également. Les textes de l’accord n’ont jamais été publiés : renfermaient-ils des exigences politiques inacceptables telles que le retrait des militaires russes de la frontière arméno-turque ou le règlement de la question du Karabagh au détriment de l’Arménie ? Le dilemme était-il « souveraineté contre sécurité », comme souvent par le passé ? Gageons que Serge Sarksian a pesé le pour et le contre avant de prendre sa décision.
Une fois l’effet de surprise passé et après les premières réactions assez dures des responsables européens, ces derniers sont revenus à des commentaires plus mesurés. Ainsi Stefan Füle, le Commissaire européen à l’élargissement, déclarait récemment : « Aucun accord ne sera signé à Vilnius en novembre, mais l’Arménie ne sera pas abandonnée. Ce n’est pas parce que l’Arménie refuse d’entrer dans le processus d’association avec l’UE que l’agenda européen, les valeurs et les principes européens disparaîtront. Les valeurs européennes et les droits fondamentaux que la société civile a acquis ne disparaîtront pas ».
Gérard Achdjian
APRICOT Group
Mise en relations d’affaires avec l’Arménie
www.apricotgroup.eu
Pour des informations détaillées sur l’économie de l’Arménie, veuillez consulter le site
www.gab-ibn.com