Aujourd’hui, l’approvisionnement énergétique de l’Arménie dépend de la politique énergétique russe. Les pays de la CEI sont considérés comme de simples partenaires commerciaux sans aucun traitement de faveur, ce qui facilite leur mise sous tutelle progressive via Gazprom, devenu l’instrument énergético-diplomatique des dirigeants russes (1). Le cas de l’Arménie est une réussite en la matière.
De la mainmise énergétique à la quasi perte d’indépendance
1) Le gaz
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la première augmentation de prix en avril 2006 et que la 5e unité de la centrale thermique de Hrazdan, encore inachevée, a été transférée à la Russie (2). L’accord, d’une durée de 25 ans, permettait aussi à Gazprom de participer au développement des projets énergétiques de l’Arménie et prévoyait l’accroissement de sa part dans le capital de sa branche arménienne ArmRusGazprom (ARG). Jusqu’à fin 2013, cette part a été portée à 80% et de multiples augmentations de prix ont eu lieu ; par ailleurs, plus de 30 protocoles bilatéraux, restés souvent secrets, ont été signés.
C’est en décembre 2013 que les présidents Poutine et Sarksian ont inauguré la 5e unité de Hrazdan, et plusieurs accords bilatéraux ont été conclus. Ils portent en particulier sur :
– l’achat de 2,5 millions de m3 de gaz par an au minimum, entre 2014 et 2018. Dans le cas contraire, l’Arménie devrait payer une pénalité, même si ses besoins réels sont estimés à 1,7
milliard de m3 par an ;
– l’interdiction d’importer du gaz à partir d’autres sources ;
– l’interdiction pour l’Arménie d’adopter des lois qui vont à l’encontre des intérêts de Gazprom jusqu’en 2043 ;
– le transfert à Gazprom de la part de 20% restant à l’Arménie dans le capital de ArmRusGazprom (devenu Gazprom-Armenia), en contrepartie de l’annulation d’une dette de 300millions de dollars (USD). Bien évidemment, cette opération a provoqué un tollé dans
l’opinion publique arménienne mais aucune contestation n’a émané du parti au pouvoir ni même des partis d’opposition. Cet accord très restrictif (considéré « de maître à vassal ») ne
confère aucun droit à l’Arménie et prévoit des sanctions si celle-ci manque à ses obligations. En revanche, selon un responsable arménien, Gazprom n’aurait pas versé de dividendes
depuis cinq ans, malgré des bénéfices nets qui ont augmenté de 12%.
Ainsi, l’Arménie a perdu sa souveraineté en matière énergétique puisque cette loi l’isole des projets régionaux auxquels elle aurait pu être associée, notamment pour la fourniture du
gaz iranien à l’Europe… si celle-ci se réalise car on l’évoque de plus en plus souvent. L’Arménie est considérée comme la meilleure voie de transit Iran-Europe, mais après cet accord avec le géant gazier russe, cela devient impossible.
Par ailleurs, Gazprom est en train de négocier l’achat du réseau de distribution électrique de l’Arménie qui appartient à une autre compagnie russe, Inter RAO UES. Pour l’acquérir et le sauver ainsi de la banqueroute, Gazprom aurait offert 50millions USD. Si l’accord est conclu, Gazprom deviendra propriétaire de l’ensemble du secteur énergétique de l’Arménie.
2) Le nucléaire
Cette politique négative se fait sentir également sur tous les mois, retrouvez la chronique économique de
Gér ard Achdjian
L’énergie, le dossier stratégique par excellence. Aujourd’hui, l’approvisionnement énergétique de l’Arménie dépend de la politique énergétique russe. Les pays de la CEI sont considérés comme de simples partenaires commerciaux sans aucun traitement de faveur, ce qui facilite leur mise sous tutelle progressive via Gazprom, devenu l’instrument énergético-diplomatique des dirigeants russes (1). Le cas de l’Arménie est une réussite en la matière.
Les relations régionales dans une perspective d’approvisionnement énergétique de l’Arménie
Deuxième partie
Moscou et Erévan signent le 2 décembre 2013, à Erévan, l’accord en vertu duquel Gazprom s’empare de la totalité du réseau de distribution de gaz arménien France Arménie / novembre 2014 27 centrale nucléaire de Medzamor, bien que l’Arménie ait signé un accord avec Rosatom pour la construction d’une nouvelle centrale d’un coût d’environ 5 milliards USD, dont 20% sur financement russe.
En effet, depuis 2008, Moscou semble avoir bloqué l’avancement de ce projet et par là même l’intérêt d’éventuels investisseurs potentiels (3). Ainsi, la France qui avait annoncé son intérêt pour le projet, s’est vite rétractée. Au contraire, Moscou est en train de prolonger l’utilisation de l’ancienne centrale, en débloquant un prêt de 300 millions USD. Mais cette situation ne pourra durer indéfiniment ; tôt ou tard, la centrale sera fermée et le potentiel scientifique de l’Arménie dans ce domaine disparaîtra progressivement.
A partir de là, il ne sera pas difficile de mener une campagne pour expliquer que l’Arménie n’a pas besoin d’une centrale nucléaire, parce que trop dangereuse.
Quant à la Turquie et à l’Azerbaïdjan, elles n’ont pas intérêt à la construction d’une telle centrale en Arménie, pour des raisons énergétiques, militaires et techniques. C’est un
programme nucléaire pacifique, il est vrai, mais des risques demeurent vu le potentiel scientifique existant. La Russie est donc en train de servir les intérêts de ces deux pays.
■ Les ensembles économiques régionaux et les facteurs géorgien et iranien
1) L’intégration aux blocs économiques régionaux
D’une part, la Géorgie a l’intention de signer un accord d’association avec l’Union européenne (UE), alors que le gaz russe transite vers l’Arménie à travers son territoire. Du coup, les termes du contrat pour ce transit resteront-ils inchangés ?
D’autre part, l’Arménie vient d’adhérer à l’Union économique eurasienne dirigée par la Russie. Il est encore difficile de savoir comment l’Arménie et la Russie vont vivre dans une
Union douanière sans une frontière commune et si la Géorgie sera d’accord pour un régime de transit préférentiel. Y aura-t-il une « frontière commune » entre l’Arménie et la Russie via la Géorgie ?
Par ailleurs, la Géorgie est la principale voie de sortie des exportations arméniennes. Comment ces deux pays voisins gèreront-ils cette nouvelle situation ?
2) Le facteur iranien
Apparemment, l’Arménie se prépare pour une diversification de ses approvisionnements en gaz et prévoit d’augmenter ses importations en provenance d’Iran. Cela se fera en contrepartie d’exportations d’électricité vers l’Iran ; cependant, l’Arménie peut aussi réexporter une partie de ce gaz si la Russie est d’accord. Mais cela irait à l’encontre des intérêts russes (4). Ce revirement soudain de l’Arménie a suivi celui de la politique russe, qui s’explique à son tour par les nouvelles données géostratégiques apparues à l’aune de la crise ukrainienne. Selon certains, une telle politique pourrait permettre à la Russie de s’adapter à la situation créée et de réaliser plus facilement ses objectifs diplomatiques.
Aujourd’hui, l’UE dépend fortement de la Russie pour le gaz, ce qui constitue pour Moscou un levier diplomatique considérable ; mais l’UE peut se tourner progressivement vers l’Iran. Les Etats-Unis pourraient aussi souhaiter que l’Iran exporte son gaz et son pétrole vers l’Europe pour le récompenser de son rapprochement avec l’Occident et pour contrer Poutine. La baisse des prix internationaux que ce mouvement entraînerait aurait pour conséquence une diminution des recettes pétrolières de la Russie. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune réaction de la part des Etats-Unis. Mais on sait que Washington tient compte du blocus imposé par la Turquie et l’Azerbaïdjan à l’Arménie et tolère les bonnes relations entre Erévan et Téhéran ; des discussions arméno-américaines sont d’ailleurs en cours sur ce sujet.
Les Américains comprennent également la position des Arméniens qui veulent acheter du gaz « peu cher ». Le gaz russe leur coûte en effet 391 USD les 1 000 m3, dans un pays où plus du tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ce prix est plusieurs fois supérieur à celui du gaz russe fourni au Belarus (membre non producteur de l’Union douanière).
Mais comment l’Arménie peut-elle importer du gaz iranien massivement sans porter atteinte à ses relations avec la Russie ? Dans tous les cas de figure, Gazprom, en contrôlant la totalité du réseau de distribution de gaz en Arménie, déterminera le prix à la consommation. La question est de savoir quel degré de liberté Moscou laissera à Erévan. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la Russie veuille acheter le gaz iranien et le vendre à l’Arménie.
L’approvisionnement énergétique de l’Arménie devient donc de plus en plus problématique, fluctuant au gré de l’évolution de l’environnement géopolitique et des intérêts des grandes puissances. Le développement des énergies renouvelables permettrait d’atténuer un tant soit peu cette pression et d’acquérir une indépendance partielle, aussi limitée soit-elle.
Ce sera le sujet traité le mois prochain, dans la troisième et dernière partie du dossier sur l’énergie.
Gérard Achdjian
APRICOT Group
Mise en relations d’affaires avec l’Arménie
www.apricotgroup.eu
Pour des informations détaillées sur l’économie de l’Arménie, veuillez consulter le site www.gab-ibn.com
(1) « La nouvelle stratégie gazière de la Russie », par Gérard Achdjian, Revue Europe & Orient n°3, mars 2007, éditée par l’Institut Tchobanian.
(2) La 5e unité de Hrazdan a une puissance de 480 MW et est équipée de turbines modernes. Gazprom délivre le gaz à ArmRusGazprom (sa branche arménienne) à la frontière de l’Arménie (1,7 milliard de m3 en 2012), laquelle l’achemine et le stocke. Les fonds encaissés par l’Arménie ont permis de compléter la construction de la centrale.
(3) Mais parallèlement, elle a fait avancer un projet de construction d’une centrale nucléaire d’un coût de 20 milliards USD en Turquie ; aux dernières nouvelles, les travaux devraient commencer en 2015.
(4) En 2007, la Russie avait imposé la limitation du diamètre du pipeline arméno-iranien à 7 cm pour couper court à toute velléité d’exportation de gaz à grande échelle par l’Arménie